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Chapitre 1 : Au Terrier

 

Charlie Weasley releva le nez de son livre de Magizoologie d’un air soucieux. Son visage constellé de tâches de rousseurs affichait une mine presque contrariée ; ses sourcils roux, froncés avec ardeur, reflétaient le désarroi que ressentait le jeune Gryffondor à cet instant.

 

« - Un problème ?, demanda Bill Weasley avec un léger sourire. Tu t’es rendu compte que tu voulais devenir Médicomage pour personnes âgées ?

 

- J’étais en train de me dire que ça fait longtemps que l’on n’a pas entendu la voix de maman, répondit son frère en frottant ses yeux fatigués. Ça en devient perturbant.

 

- Elle doit être en train de dormir, fit l’aîné avec bon sens. Fred et George lui rendent la vie dure, en ce moment. Je ne sais pas ce qu’ils ont, ajouta-t-il en secouant la tête, mais ils sont encore pires qu’avant. 

 

- Ils ont découvert l’existence de la cave secrète, expliqua-t-il en fermant son livre sur ses genoux. 

 

- Ils ont découvert la cave ?!, répéta Bill, surpris. Si c’est le cas… Des temps sombres nous attendent.

 

- En effet, confirma Charlie. Depuis, ils sont fiers comme Artaban, ce qui les rend plus diaboliques que jamais.  

 

- Tu m’étonnes... L’entrée est pourtant bien planquée. Quelle bande de petits fouineurs. » 

 

Il rit et se cala plus confortablement contre l’oreiller, adossé au mur de sa chambre. Concentré, il pointa sa baguette en direction de sa bibliothèque, s’amusant à ranger les ouvrages par couleur. Bien qu’il ait atteint la majorité déjà un an plus tôt, Bill continuait d’utiliser la magie pour tout et n’importe quoi –principalement pour narguer ses cadets, en vérité. Charlie le regarda faire avec un amusement teinté d’envie, un sourcil relevé et le sourire en coin. Le jeune Wesley avait quant à lui fêté ses 16 ans quelques jours plus tôt, et attendait avec impatience le jour où il pourrait enfin utiliser sa baguette en dehors de Poudlard. 

 

Il jeta un coup d’œil à la chambre de Bill. Elle ne pouvait être plus à l’opposé de la sienne : bien rangée, tous les meubles et les objets qui la décoraient étaient soigneusement disposés et placés de façon logique. Le préfet en chef avait toujours fait preuve d’une organisation magistrale ; au plus grand regret de Molly, aucun de ses autres fils n’avaient hérité de ce comportement méticuleux. Sa chambre à lui était la plus bordélique de toute la maisonnée, en dehors peut-être de celle de Fred et George, qui regorgeait de trouvailles diverses. Ses murs étaient couverts de posters de Quidditch et particulièrement de dragons : des Boutefeu chinois, des Magyars à pointes, des Verts Gallois et autres Pansedefer Ukrainiens se mouvaient tout autour de la pièce, crachant du feu et volant au-dessus des montagnes ; des figurines de Norvégiens à crête se promenaient la plupart du temps sur ses draps défaits, et ses différents ouvrages de Magizoologie et de Dragonologie Ã©taient éparpillés un peu partout. Des rouleaux de parchemin, fruits d’une recherche assidue, s’étalaient sur son bureau ; Le Quidditch à travers les âges, qu’il avait emprunté à Poudlard, était son livre de chevet. Une plume au bout desséché reposait dans un pot d’encre vide depuis des jours –des semaines peut-être ? 

 

C’est pourquoi il préférait rester dans la chambre de Bill, lorsque ceux-ci voulaient passer du temps ensemble. Charlie et lui avaient toujours été très complices ; aussi, quand ils voulaient être tranquilles, ils allaient toujours dans la chambre de l’aîné. 

 

Il regarda, par la fenêtre, les flocons de neige qui tombaient avec volupté sur Loutry Sainte Chaspoule. Qu’est-ce qu’il aimait la période de Noël... 

 

« - Tu crois qu’il neige beaucoup en Roumanie ?, demanda Charlie d’un ton qu’il voulait détaché. 

 

- Comme si tu l’ignorais, sourit Bill d’un air taquin. Tu crois que je n’ai pas remarqué les lettres que tu as envoyé à la réserve de Transylvanie ? 

 

- C’est le professeur Dumbledore qui m’a conseillé de correspondre avec ces Dragonologistes, rétorqua-t-il en sentant ses oreilles chauffer quelque peu.  Et pour ta gouverne, ça ne fait pas de moi un professionnel de la météo.

 

- Je te connais par cÅ“ur, petit frère, fit Bill en lui ébouriffant les cheveux. Veille simplement à prévenir maman assez rapidement, parce qu’elle ne supporterait pas le choc de te voir partir du jour au lendemain. Moi non plus, d’ailleurs. » 

 

Charlie sourit timidement et tira nerveusement sur les fils de son pull. Il s’apprêtait à répondre lorsqu’une boule de feu ouvrit la porte et traversa la pièce, se jeta sur le lit de l’aîné et s’agrippa au plus jeune des deux. 

 

« - Gin’ ?, interrogea le Gryffondor, quelque peu surpris. Qu’est-ce qu’il t’arrive ? 

 

- Tu me manquais, répondit la fillette de sa voix enfantine. En bas, Fred et George ils font que m’embêter, et puis Ron il fait que manger toute la brioche pis maman va encore nous gronder alors je monte. En plus toi et Bill vous êtes toujours calmes c’est mieux. Percy il est calme mais il est plus ennuyeux qu’un Véracrasse. » 

 

Elle se nicha contre son torse tandis que Charlie caressait ses cheveux avec une tendresse fraternelle, riant légèrement au vu de sa dernière remarque. Il avait toujours eu un lien spécial avec Ginny ; il savait qu’il était son frère préféré, et il aimait l’énergie innocente qu’elle dégageait. Il espérait qu’elle reste innocente toute sa vie, bien qu’avec autant de frères, il était fort possible que ce ne soit pas le cas bien longtemps. 

 

« - Ginny, je t’ai toujours dit qu’il faut frapper avant d’entrer, la gronda gentiment Bill. Ce n’est pas très poli de surgir dans la chambre de quelqu’un de la sorte. 

 

- Ben oui mais c’est vous qui étiez dedans, répondit-elle en ouvrant de grands yeux. 

 

- Et alors ?, la questionna-t-il doucement. 

 

- Ben papa il a dit qu’il fallait troquer à la porte- 

 

- Toquer, la reprit Charlie. 

 

- Oui, toquer, continua-t-elle, parce que les gens qui sont dedans peuvent être occupés à faire des trucs et pis qu’il faut pas les déranger. Mais Charlie et toi vous êtes sages, vous faites pas des bêtises et pis vous êtes pas des amoureux, ajouta-t-elle en fronçant le nez avec dégoût, alors il n’y a pas de risque que je vous dérange à faire des trucs bizarres ! » 

 

Tandis que Bill éclatait de rire, Charlie arrêta brutalement de lui caresser les cheveux. Une partie de l’innocence qu’il croyait intacte avait déjà commencé à s’effriter, apparemment. 

 

« - Non, en effet, il n’y a pas de danger là-dessus, lui confirma l’aîné qui continuait toujours de rire. Cependant, nous aurions pu être en train de changer de vêtements, ou de parler de quelque chose de privé, par exemple. Peu importe la personne qui est dans sa chambre et ce qu’il y fait, Gin’, dit-il plus sérieux. Il faut toujours frapper avant d’entrer –et attendre la réponse de l’intéressé, bien entendu. » 

 

La petite l’écoutait avec grande attention, comme lorsque Molly lui faisait la classe, et hocha la tête d’un air entendu. 

 

« - Je ne le ferai plus, c’est promis. 

 

- C’est bien, Ginny », sourit le futur dragonologiste.  

 

Charlie l’installa plus douillettement contre lui, et passa à nouveau sa main dans la chevelure flamboyante de sa petite sÅ“ur. Quelques minutes plus tard, elle s’était endormie contre lui, les jambes repliées et les bras toujours enlacés autour de lui. 

 

« - Si seulement on pouvait tous les endormir de cette manière, soupira Bill en secouant la tête, ça arrangerait tout le monde. » 

 

Il abaissa enfin sa baguette ; tous les livres étaient classés, non seulement par couleur mais aussi par taille. Il montra les crocs à Charlie, qui lui adressait un regard moqueur. Pour se venger, il mit en lévitation une plume posée dans son encrier, la fit venir jusque le jeune Gryffondor et lui chatouilla les oreilles avec. 

 

« - AaaaaaaAAAAH arrête ça immédiatement, maugréa-t-il en gigotant frénétiquement sa tête, l’alternant d’un côté et de l’autre contre ses épaules.  

 

- Pas de chance, ricana Bill qui savait pertinemment que son frère ne bougerait pas d’un orteil pour ne pas réveiller Ginny. Tu es bloqué. Je peux faire ça pendant des heures, tu es très divertissant, tu sais. 

 

- Mais – stop – arrêêêête », tenta Charlie qui se débattait avec la plume en essayant désespérément de la coincer quelque part, les bras toujours immobilisés. 

 

Cédant sous la torture, il finit par retirer son bras gauche, coincé sous sa petite sœur, et attrapa la plume d’un geste agile ; serrant le poing, il la broya sans ménagement.

 

« - Heureusement que c’était une vieille plume totalement inutilisable, fit remarquer le préfet en chef.  

 

- Tu n’aurais jamais utilisé une neuve pour ce genre de tâche ingrate, rétorqua-t-il.  

 

- Véridique. » 

 

Ginny remua légèrement dans son sommeil. Son aîné ne put s’empêcher de sourire avec tendresse, tandis que le silence était retombé et qu’il jouait de nouveau avec ses cheveux. 

 

OooooooOooooooOooooooOooooo 

 

Le sapin des Weasley était sans aucun doute plus chargé que tout autre. Des guirlandes et des boules de toutes les couleurs scintillaient de mille feux, transformant presque l’arbre conifère en luminaire à lui-seul. Dans la mesure ou chaque membre de la famille avait ajouté sa « petite touche » personnelle lors de sa décoration, et qu’ils étaient tout de même neuf personnes, les pauvres branches avaient à présent bien du mal à supporter le poids des décorations. Charlie redressa, d’un geste absent, l’étoile au sommet qui commençait légèrement à pencher. 

 

« - Ça va, mon grand ? », fit une voix derrière lui. 

 

Surpris, il se retourna : Arthur Weasley était arrivé dans le salon, le front dégarni et un mug de chocolat chaud-chantilly dans chaque main. Charlie sentit en lui une bouffée d’affection pour son paternel. 

 

« - Merci », souffla-t-il en prenant la tasse bien chaude entre ses mains. 

 

Il adorait le chocolat-chantilly. Il s’agissait sans conteste de sa boisson préférée, et n’en connaissait aucune autre qui puisse procurer un tel réconfort. Il n’avait pas encore trouvé le moyen de faire apparaître de la chantilly du bout de sa baguette, afin de profiter de cette recette à Poudlard, aussi devait-il se contenter d’un chocolat chaud basique au petit-déjeuner. Mais à bien y penser, songeait-il en plongeant sa lèvre supérieure dans la tasse avec délice, ça ne les rendait que meilleurs lorsqu’il en buvait au Terrier. 

 

Tout en essuyant sa moustache de crème d’un coup de langue, il réalisa qu’après tout, peut être que les cuisines de l’école avaient de la chantilly. Dans le cas contraire, il était certain que les elfes de maison se démèneraient pour lui en préparer un peu. Du haut de ses 16 ans, étudiant de cinquième année, il n’était allé chatouiller la poire peinte que deux fois ; les deux fois, on l’avait accueilli comme un roi, et il était reparti de la salle les poches pleines de cookies. Les elfes avaient accepté de lui en préparer alors qu’il était arrivé au beau milieu de la nuit, pris d’une fringale nocturne incontrôlable –les deux fois. Lorsqu’il était stressé, il avait la fâcheuse envie de manger, et ces deux nuits précédaient un match de Quidditch décisif.

  

« - Alors, fiston, comment ça se passe, à Poudlard ?, demanda Arthur d’une voix douce en s’asseyant sur le canapé, l’invitant à le rejoindre.  

 

- Je m’en sors plutôt bien, sourit Charlie en prenant une nouvelle gorgée. Le professeur Brûlopot me prête une certaine habilité avec les créatures magiques, ajouta-t-il enjoué. Il a dit que j’avais le potentiel d’être Magizoologiste et que, pour reprendre ses mots, « l’Optimal en Soins aux créatures magiques est assuré ». 

 

- Je n’en doute pas une seule seconde, répondit-il avec fierté. 

 

- Je crois que je me débrouille bien en potions aussi, réfléchit le jeune préfet. Même si ce Rogue est pire que tout, je donne tout mon possible. 

 

- Rogue est acariâtre et décrépi, commenta à cet instant Percy, qui arrivait dans le salon. Il semble n’avoir jamais touché à la vitre d’une douche de sa vie et c’est tout juste si sa voix elle-même n’est pas graisseuse.  

 

- Je n’aurais pas dit mieux, Perce, rit son aîné.

 

- Les enfants, les gronda gentiment leur père. Il est vrai que Rogue est un peu... Particulier, mais... 

 

- Particulier ?, souligna Bill d’une voix posée en arrivant à son tour. C’est le moins qu’on puisse dire. Il a fait pleurer Mary Green au cours dernier, après lui avoir dit qu’elle n’était qu’une « incompétente sans esprit aussi dangereuse pour elle-même que pour les autres de par sa bêtise affligeante ».  

 

- Il est vrai que Mary Green n’est pas une lumière, reprit Charlie en secouant la tête, mais ça n’est pas une raison valable pour l’humilier de la sorte. 

 

- Qui a été humilié ?, intervint Molly en repassant son tablier de ses mains.  

 

- Une élève de Rogue, répondit son mari dans un soupir.  

 

- On lui fera manger la poussière, à ce Rogue !, s’exclama Fred en déboulant dans la pièce. 

 

- On appliquera un sortilège de Glissage sous ses semelles, ajouta George en ricanant à la suite de son jumeau.  

 

- Ça existe, ça ?, interrogea alors Ginny, qui serrait contre elle une peluche en forme de Niffleur et s’installait dans un sofa.  

 

- Pas encore, répliqua Fred avec un clin d’œil.  

 

- Ah, non !, s’écria la mère de famille en foudroyant les deux frères du regard, les menaçant de sa cuillère en bois. Vous n’avez pas intérêt à mettre la pagaille quand vous serez à Poudlard. Je compte sur vous pour prendre exemple sur vos grands frères ! »  

 

Arthur jeta un coup d’œil désolé à son jeune garçon : manifestement, la conversation père-fils était terminée. Il n’avait jamais été très simple d’avoir une conversation privée au Terrier, de toute manière ; leur maison avait beau être grande, le fait de faire partie d’une famille de sept enfants exagérément enthousiastes et bien trop curieux pour leur propre bien ne favorisait pas une quelconque intimité. A moins de s’enfermer à double tour dans sa chambre, et de chuchoter la tête dans l’oreiller –étant donné que seul Bill et les parents avaient le droit d’utiliser la magie-, aucun dialogue n’était possible sans être entendu. De même que tout le monde se croisait toujours, être seul dans une pièce ne durait au grand maximum que deux minutes et treize secondes. 

 

Aussi, il avala la dernière lampée de chocolat chaud avec délectation. Même s’il n’était pas toujours facile de vivre dans ce capharnaüm, même si l’on ne pouvait pas être tranquille trente secondes, même si les secrets ne restaient pas secrets bien longtemps et même s’il arrivait aux tartines de confiture de voler le matin, il aimait profondément et d’un amour inconditionnel sa famille. L’idée de partir de son plein gré ne l’effrayait pas, mais celle de la quitter lui serrait davantage le cÅ“ur. 

 

Au final, on s’habitue tellement à l’amour qu’on ne se rend compte de sa valeur que lorsqu’on s’en éloigne. 

 

OooooooOooooooOooooooOooooo 

 

« - Charlie ! », hurla soudainement la voix de Percy, au loin.

 

L’intéressé leva les yeux au ciel, maudissant Merlin d’être dérangé en pleine cartographie. Ne prenant même pas la peine de se lever de sa chaise, il attendit patiemment que son frère déboule dans sa chambre ; ce qu’il fit, tel un ouragan roux aux lunettes de travers. 

 

« - Charlie, répéta le cadet dont les sourcils étaient froncés et la joue gauche étrangement noircie. 

 

- Percy ?, fit-il tranquillement. 

 

- Si tu pouvais arrêter de laisser traîner Monsieur Chatouille partout, ce serait vraiment pas mal !, explosa-t-il en tenant un petit corps mouvant du bout de ses doigts. Il a brûlé plusieurs de mes parchemins de devoir de métamorphose et quand j’ai voulu le chasser, il s’est mis à vouloir me tuer ! » 

 

Le dragon miniature protesta en grands cris, lâchant une nouvelle gerbe de petites flammes bleues sur ses doigts. 

 

« - Tu as été beaucoup trop brusque avec lui, rétorqua Charlie en prenant Monsieur Chatouille dans sa main avec douceur. Il adore explorer, ce n’est pas de sa faute. 

 

- Eh bien laisse-le explorer ta chambre, mais pas la mienne !, répliqua Percy. A cause de lui, je vais devoir récrire tout mon devoir ! » 

 

L’aîné caressa affectueusement la tête de son Suédois à museau court, un sourire étirant ses lèvres. 

 

« - Ou alors, tu pourrais demander à Bill de le réparer, tout simplement. 

 

- Qu’importe, ne laisse plus ton maudit dragon se balader dans toutes les pièces, sinon je te jure que je l’enferme dans une boîte cadenassée dont j’avalerai la clé ! 

 

- Ta faculté inexistante à avaler de grandes bouchées étoufferait cette possibilité dans l’œuf », se moqua son frère. 

 

C’était vrai : Percy était toujours obligé de couper ses aliments en petits morceaux, sinon il n’arrivait strictement pas à déglutir correctement. Il était arrivé deux fois qu’il s’étouffe, car trop enthousiaste et affamé, et avait atterri les deux fois à Sainte Mangouste. Depuis la dernière fois, où il avait bien cru être tué par une part de tarte à la mélasse, il faisait bien attention à tout bien couper. Devant les oreilles rougissantes du jeune Weasley, même Monsieur Chatouille sembla glousser. 

 

« - Très drôle, grommela-t-il. A bon entendeur, salut ! » 

 

Et il claqua la porte en sortant de sa chambre. Charlie tourna son regard vers le creux de sa main, ou le petit dragon ne tenait plus en place. 

 

« - Il t’a tiré par la queue, constata-t-il tristement en le caressant de son index. Vilain Percy. Méchant rouquin. Mais il faut arrêter de brûler les affaires des gens, d’ac d’ac ? » 

 

Le Suédois à museau court en éternua de mécontentement. 

 

« - Je sais, mon vieux, je sais, fit-il tandis que la miniature grimpait sur son bras pour se poser sur son épaule. Pas facile d’être un petit dragon, hein ? Je comprends. Mais si tu continues à vouloir être intrépide ailleurs que dans ma chambre, tu vas t’attirer des ennuis. Je ne pense pas que tu aies envie d’être chassé du Terrier. Moi non plus je ne veux pas, tu sais. » 

 

Monsieur Chatouille se lova contre son cou en une sorte de ronronnement. Une vraie petite boule de chaleur. 

 

« - Je t’emmènerais bien dehors, si tu te contrôlais un peu plus, lui confia-t-il en se tournant à nouveau vers ses cartes. Peut être que je le ferai, si tu consens à être gentil. Je te montrerai les plaines au-delà de Loutry Sainte Chaspoule, et le soleil qui fond sur l’herbe. Je te ferai voir le village du dessus, sur mon balai, dans la mesure où tes petites ailes ne peuvent pas voler très haut, ajouta-t-il avec un petit rire. Tu pourras connaître la sensation merveilleuse du vent sur tout ton corps. » 

 

Le dragon sembla se nicher davantage. Malgré son caractère quelque peu grognon et surexcité, c’était un vrai petit chaton lorsqu’il se sentait en sécurité ; ses écailles, d’un joli bleu argenté, frémissaient au rythme de ses respirations. Charlie lui accordait une grande place dans son cÅ“ur, et il l’avait avec lui la plupart du temps. Bien qu’il possédait plusieurs autres dragons miniatures, Monsieur Chatouille était sans conteste son préféré ; il avait été son premier. Charlie se remémorait très clairement son sixième anniversaire, lorsque, la bouche pleine de gâteau, il avait déballé un petit paquet contenant la miniature d’un petit dragon. Pourquoi l’avait-il nommé Monsieur Chatouille, il l’ignorait ; mais c’était le premier nom qui lui était venu à l’esprit. Il avait été particulièrement dur à apprivoiser, mais au bout de quelques semaines, il était devenu son parfait animal de compagnie. Il avait même pu l’emmener à Poudlard, ce qui avait rendu bien plus facile son arrivée dans l’école de sorcellerie ; c’est comme s’il avait avec lui  un petit bout de sa maisonnée.  

 

Ses autres dragons étaient plus farouches et plus indépendants, mais il les appréciait tout de même beaucoup. 

 

« - Samaël, Lokastiel, ça suffit », gronda le maître des deux Norvégiens à crête qui utilisaient un de ses vieux T-shirts comme d’une corde à tirer. 

 

Les deux dragons protestèrent et d’un commun accord, commencèrent à s’attaquer à son oreiller. Charlie soupira, excédé, et chercha du regard son quatrième et dernier dragon, un Noir des Hébrides nommé Ebony. Il était plutôt timide ; il devait très sûrement être planqué entre deux livres.  

 

Il porta son attention à nouveau sur la carte qu’il était en train de composer. D’un geste fébrile, il essuya du pouce une tâche d’encre tombée sur la frontière anglaise. Quelque peu déçu par cette imperfection, qui donnait à présent l’impression d’une nouvelle île du Royaume-Uni, il était néanmoins fier du fruit de son dur labeur. Enfin, après tout, peut être y avait-il réellement une île, encore inexplorée, à cet endroit-là ; d’un sourire presque moqueur pour lui-même, Charlie se promit d’y jeter un coup d’œil un jour. Il l’appellerait Billie, en référence au couplement des prénoms Charlie et Bill. Lui et son grand frère s’étaient fait la promesse absurde que le premier d’entre eux qui aurait une fille l’appellerait ainsi. Une promesse enfantine à laquelle ils avaient rajouté une carte joker : si on n’avait vraiment pas envie de condamner sa descendance à une vie morne et triste, étant donné que Billie était aussi le nom d’une sorcière simplette et gauche dans le conte très connu Les malheurs de Billie, on pouvait toujours l’appeler, au choix : Jenny ou Dominique. Il était très peu probable qu’ils tiennent leur pari, bien que cela amuserait grandement Charlie d’avoir une nièce nommée Billie. 

 

Avec nervosité, il repassa quelques traits qui lui semblaient indistincts, incorrects. Si Charlie ne nourrissait pas de grande passion pour les cartes, c’était tout autre chose depuis qu’il s’était mis à les faire lui-même. Il prenait un réel plaisir à les dessiner, à les inventer parfois ; ça lui donnait l’impression de créer le monde et d’y laisser une empreinte significative. Il espérait pouvoir s’y plonger un jour, en dehors de ses dessins. Nager dans le Pacifique, voir un Occamy en Inde, manger des slouvakis en étudiant les Chimères en Grèce, se promener sur un Éruptif en Afrique, jusqu’à dresser des dragons en Roumanie. 

 

Un frisson parcourut l’intégralité de son échine. Oui, c’était ça qu’il voulait faire de sa vie. Voyager. Explorer. Rencontrer. Vivre. 

 

Charlie Weasley, le Dragonologiste qui ne reculerait devant rien. 

 

« - Frrrr. » 

 

D’un coup d’œil, il aperçut Ebony voleter timidement à sa gauche, demandant d’un grognement réservé s’il pouvait venir voir. 

 

« - Viens, mon grand, allez, sourit-il. Je sais que tu n’aimes pas être touché, je ne le ferai pas. Allez, viens. » 

 

Le petit dragon atterrit maladroitement sur la surface du bureau, et s’approcha d’un pas vacillant et incertain vers la carte. Il l’a renifla, intrigué, avant d’éternuer avec les résidus de poudre de crayon de bois. 

 

« - Si tu brûles cette carte, gare à toi, le prévint-il. Je tiens à la garder d’origine et parfaitement intacte. » 

 

Ebony le toisa avec méfiance. Quant au jeune rouquin, il soupira en se frottant les yeux. Cette année, il passait son BUSE. Avec déception, il réalisa qu’il n’aurait sans doute pas beaucoup de temps à consacrer à ses cartes.   

 

Une fin d’année merveilleuse l’attendait. Comme si organiser sa vie ne demandait pas assez de temps, il fallût en plus qu’on leur rajoute des examens ! Bill lui avait assuré que les professeurs mettaient « beaucoup de pression pour pas grand-chose », mais il n’en n’était pas si sûr dans la mesure où Bill était un élève brillant. Oui, bien sûr, lui-même reconnaissait être un bon élève, mais pas autant de son aîné. Il avait quelques lacunes en Arithmancie (pourquoi diable avait-il choisi de suivre ces cours, il l’ignorait encore) et en Étude des Runes. Pour compenser, il était certes excellent au Quidditch, mais il doutait sérieusement que le professeur Vector accorde plus d’attention au score du dernier match qu’à sa copie pitoyable et bourrée de calculs aléatoires. 

 

Dans quelques jours, il retournerait à Poudlard. Il espérait bien parvenir à comprendre le dictionnaire des Runes et autres lettres d’un trait, bien que toute la promotion de Gryffondor, le professeur McGonagall y compris, avait connaissance de son niveau dans cette matière. Et croyez-le, il était bien plus doué avec les Vifs d’or avec les Signes Anciens. Ou qu’avec les êtres vivants de type humain.  

 

 

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